LE GIGOLO !

De la délicieuse petite frimousse toute rayonnante d’Aloïne, s’échappait quelque chose d’exceptionnel. Cela rendait son regard irradiant.

L’affreux cauchemar, au centre duquel vibrait la terre, avait pris l’aspect d’un vilain rêve pour le p’tit coquin qui voulait oublier la fulgurante descente aux enfers de son monde en perdition. Aussi, il profitait jusqu’à satiété des instants merveilleux vers lesquels les beaux yeux couleur de jade de la petite fille le transportaient.

L’aventure du petit clochard souillé, lui avait prouvé que l’être à l’œil pervers n’avait pas réussi à prendre le dessus sur tous les hommes de la terre. Il avait compris que les pouvoirs de ce personnage démoniaque n’atteignaient qu’une catégorie d’individus.

Il savait maintenant que cet être satanique, fondait son empire sur de pauvres créatures n’ayant pas plus d’envergure que ce misérable loubard qui avait réussi à plonger ce soir-là, un wagon entier de voyageurs dans une impassibilité totale.

La seule attraction que « l’œil pervers » avait réussi à produire pour détourner leur attention du drame qui se déroulait sous leurs yeux, était le reflet dans un miroir de leur image. Le monde aurait pu s’effondrer sous leurs pieds, sans les soustraire à la religieuse contemplation, par laquelle ils s’admiraient.

La répugnante « indifférence » avait profité qu’ils soient ainsi occupés pour se glisser dans la rame et, confortablement, s’installer à leurs côtés sur les banquettes austères de ce chemin de fer.

Tous, restaient totalement impassibles et insensibles aux cris que poussait la malheureuse épouse du gigolo sur qui les coups pleuvaient sans pitié ».

Le p’tit coquin tendait de nouveau le dos. Cette nouvelle aventure qui naissait en s’échappant des lèvres d’Aloïne, n’était pas vraiment celle, qu’il avait espéré l’entendre lui raconter. Mais, il allait encore une fois passer par les méandres des tristes facéties que les hommes de la terre perpétuaient, avant de pouvoir cavaler à nouveau aux trousses de la petite fille, vers son royaume d’amour, dans le domaine d’Agrion.

– « Pour séduire la femme, l’œil pervers avait paré son gigolo d’un séduisant teint couleur caramel » disait Aloïne au p’tit coquin. « La pauvre était tombée dans le piège sans même s’apercevoir que ce fastueux décor n’était qu’une mise en scène pour permettre encore et encore au démon de poser ses jalons.

– L’épouse désabusée, qui était ballottée de tous les côtés par son loubard, implorait mais personne n’osait s’imposer pour la sauver des griffes de « l’affreux » qui hurlait « avoir tous les droits sur elle » puisqu’en l’épousant, il en avait fait sa propriété.

Soudain, tout au fond du wagon, une voix de femme s’était élevée, couvrant les cris de l’abominable enragé.  Offusqué, surpris, il avait laissé tomber sa proie sur le sol pour aller intimider la courageuse qui venait de l’interpeller. Mais, pendant qu’imbu de sa personne et fier de son scénario, le macho se dirigeait vers sa nouvelle victime à grands pas ; une autre femme, elle aussi bien déterminée, venait de s’investir pour faire reculer l’assaut du gigolo. C’est ainsi que deux femmes bien décidées avaient, puni le voyou par là où il venait de pêcher.

Malheureusement, l’horrible personnage dont l’orgueil venait d’être bafoué en plein wagon, n’avait pas accepté la sanction. Fou de rage, il était retourné illico-presto, s’en prendre à celle qu’il avait épousée.

A ce moment-là, au milieu du wagon que le machiniste était en train de stopper à sa station, un individu à la peau café grillé avait soudain émergé de sa contemplation.

La lamentable idolâtrie que « l’œil pervers » avait lâchement glissée dans le miroir, venait de se faire détrôner par « Maître Remords » qu’Agrion avait propulsé dans la conscience de l’individu, balayant l’image de son ego en train de se pavaner dans la glace.

Le p’tit coquin riait par moments de bon cœur en entendant Aloïne lui conter combien « œil pervers » s’épuisait en cherchant constamment à se battre contre les qualités que le papa de tous les enfants de la terre distribuait à l’humanité.

Pour contrer les abominables manœuvres que mijotait le démon, Agrion avait malicieusement glissé dans le reflet du miroir, l’audacieux courage de la gent féminine, en train d’intercepter l’attaque du gigolo.

L’individu à la peau café grillé d’un coup, tout ravigoté, avait suivi l’exemple en empoignant vaillamment l’affreux au collet pour l’empêcher de malmener à nouveau sa malheureuse victime de plus en plus terrorisée. Le gigolo vexé d’avoir été ainsi désarçonné, avait poussé sur le quai son nouvelle proie qu’il cognait aussi fort qu’il pouvait. Pendant ce temps, les autres voyageurs continuaient d’admirer avec ferveur leur harmonieux nombril que l’être démoniaque réfléchissait dans le miroir afin d’endormir leur attention.

Les deux femmes qui étaient toujours aux aguets, malmenaient verbalement l’affreux sur le quai où il s’en donnait à cœur joie, matraquant sans ménagement l’homme à la peau café grillé, qui avait fini par oser, lui aussi, s’engager. Mais subitement, le wagon tout entier qui méditait, s’était agité, émergeant de son placide sommeil. Brusquement tous ces voyageurs, qui, un instant avant, étaient affalés sur les banquettes et dégustaient avec plaisir les délices de la savoureuse léthargie qui les engourdissait, semblaient réanimés, emportés par l’effervescence qu’avait provoqué l’apparition d’une armée de policiers que le machiniste venait discrètement de contacter.

Mais l’œil pervers ricanait de plus bel puisqu’à peine arrivés, les policiers n’avaient même pas cherché à savoir lequel des deux individus était l’affreux. Sans vergogne, ils avaient ceinturé le pauvre bougre à la peau café grillé qui avait eu le cran d’entrer en scène, dans cette pantomime totalement « improvisée » racontait Aloïne.

Mais les voyageurs qui avaient cette fois le sentiment d’être protégés, poussaient des cris d’effroi afin d’empêcher ceux qui ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nez, de maîtriser à tort le personnage à la peau café grillé.

– Les actions des hommes de la terre sont souvent déplorables » poursuivait Aloïne « car d’office, avant même de réfléchir à la façon dont s’était levé le rideau sur le plateau du wagon, les policiers en civil, s’en étaient pris à celui des deux dont la peau était la plus foncée ».

Le p’tit coquin pensait que le gigolo allait devoir tirer quelques leçons des avertissements qu’Agrion venait de lui infliger.

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