Extrait : En février 2004, Estelle, la fille de Mara, était préparatrice en pharmacie dans un service hospitalier d’oncologie. Les produits qu’elle mélangeait étaient administrés aux patients à partir d’un cathéter relié à la veine cave supérieure. Petite, Estelle ne supportait pas la vue du sang dont la moindre goutte la faisait tourner de l’œil. Jeune fille, puis jeune femme, elle était prise de malaises inexplicables lorsqu’elle faisait sa toilette dans la salle de bains.
Le 28 février 2004, Estelle raconta à sa mère que ses malaises survenaient uniquement lorsqu’après sa douche, elle montait son pied droit sur le rebord de la baignoire pour s’essuyer la jambe. En l’écoutant, Mara comprit que la manière dont le « grand-père » s’était donné la mort, était enregistrée dans la mémoire cellulaire de la « petite fille », sa fille.
Estelle n’avait pas connu son grand-père. Pour éviter d’évoquer les circonstances de son décès, sa mère n’en parlait pas. En cachant la vérité à ses enfants, Mara ne les avait pas protégés, bien au contraire. Lorsqu’Estelle parla de ses malaises, sa mère avait déjà beaucoup remué son passé et libéré bon nombre de ses blocages. Mais la manière dont son père s’était donné la mort restait un tabou qu’elle taisait à ses enfants. Mara ignorait qu’il était essentiel qu’ils entendent consciemment ce qu’ils savaient déjà inconsciemment.
Depuis des mois, Estelle essayait de faire un bébé qui n’arrivait pas. Elle tomba enceinte, six jours après que sa mère lui avait eu révélé les circonstances du décès de son grandpère. Pour se suicider, Rod avait monté son pied sur le bord de la baignoire. Il s’était tranché l’artère de la jambe.
A l’époque, Mara pensait qu’en nettoyant pour elle, elle nettoyait automatiquement pour ses enfants. Cela aurait été vrai si elle avait effectué son propre nettoyage avant leur naissance. Comme elle avait entrepris de nettoyer alors qu’ils étaient déjà adultes, les circonstances du décès de son père étaient restées inscrites en lettres de sang dans leur inconscient. Pour Estelle, mettre son pied sur le bord de la baignoire signifiait mourir, d’où son blocage pour donner la vie. COMMANDER